On le dessine d’un trait rapide, on l’offre, on le brode, on le colle sur des déclarations d'amour.
Mais d’où vient réellement le symbole du cœur ?
Pourquoi cette forme, et pourquoi tant d’attachement à ce petit dessin que tout le monde comprend sans mot ?
Son histoire traverse les siècles.
Avant de devenir l’emblème de l’amour romantique, le cœur fut un symbole d’âme, de feu et de transformation.
Un secret d’alchimiste, bien avant d’être un “je t’aime”.
Les plus anciens cœurs connus ne venaient pas des poètes, mais des botanistes de l’Antiquité.
À Cyrène, en Afrique du Nord, on cultivait une plante aujourd’hui disparue : le silphium.
Sa graine, en forme de cœur, était réputée pour ses vertus médicinales et… aphrodisiaques.
Si précieuse qu’elle figurait sur les pièces de monnaie de la cité.
C’est sans doute de là que vient la première apparition de cette forme : un motif végétal avant d’être émotionnel.
Un signe de fertilité, de vie et de désir plutôt que d’amour au sens moderne.
Bien plus tard, au Moyen Âge, l’alchimie fleurit dans toute l’Europe.
Mais elle n’était pas seulement une science des métaux : c’était une quête spirituelle.
Les alchimistes cherchaient à transformer la matière, certes, mais surtout à se transformer eux-mêmes.
Dans leurs textes symboliques, le cœur apparaît comme le four sacré de cette transformation.
Le centre où s’opère la fusion des contraires : le froid et le chaud, le visible et l’invisible, la peur et la lumière.
Le cœur, disaient-ils, est le creuset de l’âme,
le lieu où l’humain fond ses émotions pour en tirer l’or de la sagesse.
Transformer le plomb en or signifiait surtout cela :
transformer la lourdeur de la vie en clarté intérieure.
Bien avant la science, presque toutes les civilisations plaçaient le cœur au centre de l’être.
Partout, le cœur était vu comme l’endroit où la vie prend sens. Le lien entre l’humain et quelque chose de plus grand que lui.
Avec la Renaissance et les dissections anatomiques, la science prend le relais.
Les médecins observent, mesurent, dissèquent.
Le cœur devient un organe, une pompe, un mécanisme.
Le cerveau, lui, devient le nouveau trône de la raison.
Mais cette vision rationnelle n’a jamais effacé la mémoire collective.
Même si la biologie y voit un muscle, le cœur reste pour chacun le centre du ressenti.
C’est lui qui s’emballe, se serre ou s’apaise avant même que la tête ait compris.
Et c’est peut-être pour cela que le symbole a survécu à toutes les époques :
parce qu’il parle directement à ce que la raison ne peut mesurer.
Quand je crée un cœur, je pense à tout cela : à la graine du silphium, au feu des alchimistes, à cette idée que le cœur transforme, relie, éclaire.
C’est un symbole que je n’utilise jamais par hasard.
Qu’il soit brodé, suspendu, offert, il garde cette mémoire millénaire : celle d’un centre vivant, d’un lieu de passage entre le visible et l’invisible.
Créer un cœur, c’est pour moi une façon de faire revivre un symbole ancien dans un geste d’aujourd’hui.
De relier l’histoire des symboles à celle des émotions.
De prolonger, à travers le fil, une tradition qui parle de transformation, de lien et de lumière.
Du silphium antique aux cœurs médiévaux, des manuscrits enluminés aux bijoux d’aujourd’hui, la forme s’est fixée, stylisée, adoucie.
Elle est devenue ce langage universel capable d’exprimer l’amour, la reconnaissance, la compassion, la foi, la mémoire…
Et si chacun y projette sa propre histoire, tous y lisent la même chose : quelque chose de vivant bat ici.
Avant d’être un “je t’aime”, le cœur fut une graine, un feu et un symbole de transformation.
C’est sans doute pour cela qu’il continue à nous émouvoir : parce qu’il porte en lui le souvenir du mouvement même de la vie.
Créatrice textile, amoureuse des matières et des émotions partagées.